Jumeau numérique : qu'est-ce que cette technologie ?

Jumeau numérique : qu'est-ce que cette technologie ?

Présenté comme une révolution majeure dans le domaine industriel, le concept de jumeau numérique, ou "digital twin" en anglais, fait peu à peu son chemin.

Qu’est-ce qu'un jumeau numérique ?

Un jumeau numérique, aussi appelé "digital twin" en anglais, est la réplique d’un objet, d’un système ou d’un processus sous une forme numérique. La technologie se sert des flux de données pour adapter la représentation en fonction de scénarios d'anticipation ou pour suivre une évolution en temps réel afin pour améliorer la collaboration, l'accès à l'information et la prise de décision. En étant capables de simuler le monde physique, les jumeaux numériques aident par exemple les organisations à mieux utiliser les ressources, à réduire les émissions de carbone, à optimiser les réseaux d'approvisionnement et de transport, ainsi qu'à accroître la sécurité des employés.

La technologie des jumeaux numériques n'est pas récente, la Nasa a été l'une des premières organisations à utiliser des jumeaux numériques rudimentaires à la fin des années 1960. Depuis les années 2010, les évolutions de la connectivité, de l'analyse des données et des capteurs en font désormais une solution rentable conférant plus de flexibilité aux entreprises utilisatrices.

Comment fonctionne un digital twin ?

"Deux grandes familles de jumeaux numériques se profilent avec chacune une approche distincte", explique-t-on à l'école supérieure d'ingénieurs Léonard de Vinci, où un cours dédié aux jumeaux numériques a été mise en place à la rentrée 2019.

  • L'une, dite "bottom up", dans laquelle on part d'un actif équipé de capteurs pour récupérer les données qui en sont issues. Avec ces data, on construit des modèles de prédiction, grâce aux techniques d'intelligence artificielle (IA) comme le machine learning, le deep learning et les réseaux de neurones.
  • L'autre approche, plus "top down", mise sur des jumeaux numériques de seconde génération basés sur la simulation. On part d'équations issues de la physique qu'on nourrit de mesures et résout numériquement pour prédire des comportements. Ces jumeaux numériques vont révolutionner les opérations de simulation dans l'usine 4.0.

Les technologies associées au jumeau numérique concernent ainsi principalement l'ingénierie/conception assistée par ordinateur (IAO/CAO), l'intelligence artificielle (IA), l'analyse des données en temps réel ou encore l'IoT.

Pourquoi utiliser un jumeau numérique ?

Selon l'étude d'Altair, le monitoring est le gain le plus récurrent parmi les utilisateurs de jumeaux numériques. © Altair

Les jumeaux numériques transforment le monde industriel en modifiant la phase de développement d'un produit ou l'utilisation d'un équipement. Avant le développement du concept de digital twin, une entreprise créait physiquement un objet pour lui faire subir un ensemble de tests et y apporter des modifications. Avec le jumeau numérique, les données recueillies sur l'évolution de l'objet permettent d'en anticiper et d'en optimiser les performances. Selon l'étude "2022 Digital twin global survey report" de l'entreprise américaine de simulation Altair, menée en mai 2022 dans dix pays auprès de plus de 2000 personnes d'entreprises de plus de 100 salariés, 43% des répondants pensent que les solutions de jumeau numérique rendront obsolètes les tests physiques d'ici quatre ans ou plus tôt. 

Avec les jumeaux numériques, les entreprises :

  • Gagnent en fiabilité 
  • Améliorent le niveau de sécurité de leurs produits
  • Renforcent la confiance des consommateurs en leurs produits
  • Réduisent les coûts de réparation en anticipant les défaillances à venir.

Quelle standardisation à l'Afnor ?

Tous les industriels français dressent le même constat : "Pour réussir à faire des jumeaux numériques dans notre filière, il faut que les sources soient normalisées", indique Christophe Mouton, expert en système d'information normes et standards chez EDF. Plusieurs acteurs français ont ainsi sollicité l'Afnor pour centraliser les acteurs et les innovations autour des jumeaux numériques et normaliser les technologies. L'Association française de normalisation crée pour cela en février 2023 une commission. Cette dernière a pour objectif de faciliter le partage d'expérience, de stabiliser la terminologie, de proposer une méthodologie commune sur la mise en œuvre des jumeaux numériques et de contribuer aux travaux internationaux sur le sujet. Elle se réunira quatre fois par an, la première réunion étant fixée courant mars.  

"Le plus important est de s'affranchir des standards propriétaires pour pouvoir pour interchanger les solutions logicielles à moindre efforts et coûts", estime Xavier Lorang, chef de projet à l'IRT SystemX, qui a créé fin 2022 un programme sur les jumeaux numériques pour la résilience et la durabilité des systèmes industriels, en expérimentant des usages sur la construction assistée et la maintenance prédictive. Parmi les enjeux identifiés : la cybersécurité. "La connexion de jumeaux numériques au système d'informations créé des vulnérabilités, il faut en garantir la sécurité', souligne Xavier Lorang, soucieux d'apporter le résultat de ses travaux au processus de normalisation de l'Afnor. Par leurs simulations, les jumeaux numériques s'affirment comme une technologie clé pour répondre aux problématiques liés à la supply chain, à l'optimisation des consommations énergétiques ou encore à la résilience de systèmes critiques. Ils n'ont pas fini de faire parler d'eux.

Quelle différence entre le jumeau numérique et le BIM ?

Les professionnels de la construction et de l'immobilier réalisent depuis plusieurs années des BIM (Building Information Modeling), c'est-à-dire des modélisations des données des bâtiments. La maquette numérique du BIM peut par exemple servir d'élément de base au jumeau numérique, grâce au recueil des différentes données du bâtiment. De son côté, le jumeau numérique apporte les bénéficies de l'IoT avec une possibilité de prévision d'incidents, notamment structurels.

Les digital twins en santé

La santé est un secteur d'activité directement impacté par l'émergence des jumeaux numériques. Il s'agit principalement ici de :

  • Tester des traitements sur un patient virtuel (ou jumeau numérique) avant leur administration au patient réel
  • Développer la simulation d'opérations complexes
  • Améliorer la qualité des dispositifs médicaux tels que les prothèses
  • Tester l'efficacité d'une molécule sur l'organisme
  • etc.

De nombreuses initiatives et expérimentations ont été lancées dans l'Hexagone. La start-up Exactcure, par exemple, construit sur son application le jumeau digital de l'utilisateur afin de connaître la réponse médicamenteuse personnelle de chaque patient. Ce double numérique prévient ainsi les incidents dus au mésusage du médicament. Exactcure a signé en novembre 2019 avec le groupe Vidal, spécialisé dans les systèmes d'information en santé, pour intégrer dans la plateforme Vidal Sentinel à destination des pharmaciens d'hôpitaux ses simulations personnalisées. Pour contribuer à apporter à chacun le meilleur traitement face au coronavirus, la start-up niçoise, a intégré dans ses bases de modèles certaines molécules testées par des chercheurs contre le coronavirus, comme l'hydroxychloroquine, le lopinavir/ritonavir (Kaletra), ou le Remdesivir.

Exemples de jumeaux numériques

Les jumeaux numériques prennent de l'importance dans la stratégie des entreprises. La SNCF par exemple prévoit de modéliser 122 gares et les et installations ferroviaires qui en dépendent pour prendre des décisions stratégiques. De son côté, EDF a besoin d'établir une maquette numérique pour chacun de ses sites. Les jumeaux numériques permettent au groupe d'étudier comment la cuve de chaque réacteur se comporte au cours du temps. EDF s'appuie sur les jumeaux numériques de l'éditeur Ansys pour concevoir ses centrales nucléaires de nouvelle génération et en optimiser le rendement énergétique. EDF a signé début mars 2020 avec Ansys un contrat pluriannuel, lui permettant de développer des instruments et des outils de contrôle avancés à moindre coût, bien plus rapidement qu'en faisant appel à des méthodes traditionnelles de prototypage physique et d'essais. Autre exemple chez Schneider Electric sur la durabilité : "A l'horizon 2026, la directive européenne ESPR impliquera la création d'un passeport digital pour suivre le cycle de vie des produits. Les jumeaux numériques aideront à la prise de décision et à évaluer les scénarios de fin de vie", témoigne Benjamin Martinez, ingénieur certification.

"Utilisé d'abord pour modéliser un objet, comme un moteur d'avion, le jumeau numérique est aujourd'hui employé pour représenter un système entier : un avion dans son intégralité, une chaîne logistique, une usine, etc.", observe Michel Morvan, cofondateur et président de Cosmo Tech, éditeur français spécialisé dans les solutions d'intelligence augmentée pour prédire, à l'aide de jumeaux numériques, ce qui peut se passer selon des situations aléatoires. Cosmo Tech a par exemple réalisé le jumeau numérique de la chaîne d'approvisionnement de Renault pour l'aider à répondre au mieux à la demande en fonction de la production, du stock, de l'organisation des équipes... La solution a apporté au constructeur automobile un ROI en trois mois et est aujourd'hui déployée chez Michelin.